Empire


Il n'est pas d'empire plus serein que celui qu'érige la lueur du matin dans les boucles de tes cheveux.

Fin de l'hiver

© photo : Jill Corona

Les lames du froid dans la chair tendre, les dernières gerçures des chemins, la fin de l'hiver ressemble à des peaux de cerises lacérées par les merles.

Dans les marges


On pourra dire ce qu'on veut, parfois il faut savoir rester sur la berge pour ranger les canettes dans les fossés, laver ses joues aux larmes tièdes, et s'allonger paisible dans les marges d'écume.

Pleur de désert


Il pleure des feuilles mortes sur le désert de l'inspiration.

Lessivé


Une corbeille de linge sale dans la tête pour les mots qui froissent. Une machine à laver dans le ventre pour les propos qu'on a du mal à digérer.

Jardins mourants


Les jardins mourants deviennent tôt ou tard le paradis des tempêtes.

Somnambule


Des somnambules aux yeux concaves, la nuit comme une peinture fraîche et leurs pas de vandales, l'électricité des étoiles, l'éclair des branches sur les sentiers tourbeux, le regard perçant des rapaces planté dans les fossés. Les yeux vides qui déambulent dans le cauchemar des enfants, les spectres en hibernation sous les paupières chaudes de la nuit.

A la place du cul


Elle fait partie de ces filles qui ont un cœur à la place du cul.

La dictature des ronces


C'est plutôt inexplicable mais c'est comme ça. L'envie d'accorder toute sa confiance aux yeux cernés, aux cheveux hirsutes, aux chats qui s'enfuient, aux vieilles cordes enlacées dans les granges, aux sourires des inconnus, aux derniers rayons de soleil, aux cris blasphématoires des carnassiers, à l'éternelle dictature des ronces qui petit à petit font leur nid dans le foutoir du monde.

Fossés


Les villages des pantalons, les fossés des poches trouées, et des hommes qui marchent au fond entre les déchets entassés là par les mains de la pluie.

Paires de claques


De sombres paysages sous la lumière du feu, les évidences pointées, la lampe torche dans les yeux, l'apparition des plaies sous les néons du ciel. Les éclairages puissants, des paires de claques sur les joues de l'obscurité.

Modération


Il ne se mouille pas, pense quelquefois à se jeter à l'eau. Il est plutôt du style à boire la mer et ses poissons avec modération.

Tir à l'arc


Des paupières comme des arcs, des cils comme des flèches empoisonnées, des clignements comme des tirs mortels dans le cœur des hommes.

Six pieds


Il a déterré six pieds. Différentes pointures, mais de beaux pieds gauches. De ceux dont on se satisfait qu'ils marchent dans les excréments, de ceux qui laissent le mauvais pied se lever à leur place. Il les a bichonnés, les a cirés, les a apprêtés en grandes pompes, les a brossés dans le sens du poil. Sur le chemin du retour, il ne pouvait s'empêcher de jeter un œil sur les pieds qu'il avait disposés en éventail dans sa besace. Il les tripotait machinalement, et quand sa main se refermait sur l'un d'eux ils étaient comme pieds et poings liés. Sur un pied d'égalité. Il se demandait pourquoi les mains avaient toutes les faveurs qui manquaient aux pieds.
Une fois chez lui, il a trouvé chaussure à chaque pied. De beaux souliers vernis, brillants comme du poil de renard dans l'huile d'olive. Il les a disposés sur une vieille commode qui n'avait pas accueilli de pieds depuis qu'on avait accroché les vieux tableaux de son arrière grand-mère très haut sur le mur du salon.
Cette nuit-là, il n'a pas dormi. Trop absorbé à contempler ses pieds. De ravissantes sculptures, des bouts de chair humaine taillés sur mesure pour les six souliers vernis qui les attendaient. Chaque fois qu'il clignait des yeux, il redécouvrait de nouveau ses pieds dans leurs souliers. Il faut dire qu'il n'étaient pas mal non plus les souliers. Ils avalaient la lumières de la pièce et ne la rendaient pas. Ils étaient protecteurs. Noirs, très noirs, de belles pompes funèbres dans la lueur de la bougie. Sur le matin, il s'est endormi. Il n'a pas pu lutter. Mais quand il s'est réveillé, ils étaient toujours là. Il a souri. De ces sourires dont on se décrocherait la mâchoire, assurément. Mais quand il a baissé la tête, il a bien vu que lui n'avait toujours pas de pieds. Il s'est tout de même senti chanceux. C'était pas donné à tous les cul-de-jattes, d'avoir six pieds flambants neufs sur la commode du salon.

Privilège


Le privilège d'apercevoir tes yeux assassiner l'ennui.

Oeillères


Les jours où le paysage éclabousse les yeux, les jours prisonniers des œillères de la nuit.

Ordures


Elle ne trouvait jamais ses mots, quand tout le monde savait pourtant bien qu'ils s'entassaient comme des ordures sur le bout de sa langue.

Cinq minutes


Il tombait amoureux toutes les cinq minutes, il faisait collection des grosses déceptions, il vivait plus d'histoires de cœur que personne ne lui envierait jamais.

Echasses


On aurait pu faire un long-métrage de ses jambes, un long travelling interminable et sa voix lascive en fond de générique de fin.

La croisade du grenier


 C'est pas plus compliqué que ça. L'enfance est un sac d'os qu'on assemble comme des légos. Des perronés usés emboîtés avec des humérus qu'on soude à l'aide d'articulations crochues. L'enfance renaît dans chaque dépouille d'oiseau couchée sur le sol, dans chaque fumée opaque crachée par les trains du souvenir. On retrouve des morceaux, on en perd, on essaie de faire le lien derrière les verres épais de nos lunettes griffées.
Je viens de retrouver une partie de mon enfance dans un grenier, mes yeux fouillant chaque recoin de lumière, mon nez humant chaque odeur emprisonnée. Je suis debout au milieu d'une histoire biscornue, je n'ai qu'à tourner la tête pour qu'elle devienne un périscope dressé sur le plancher bancal. C'était si simple, pourquoi n'y avais-je pensé plus tôt ? Une réponse serait de croire que l'enfance nous poursuit en se cachant derrière chaque coin de rue. Mais le plus probable est que ça faisait des années que je me planquais, moi, pour la filer nuit et jour. Dès qu'elle me tournait le dos, je me rapprochais d'elle. Juste assez pour frôler les souvenirs dans ses poches.
[...]

Extrait de nouvelle : La croisade du grenier.

Laid


Les dents qui courent après le bifteck, les oreilles tirées à quatre épingles, les yeux en guerre depuis plus de cent ans, et le rayonnement tout autour de cette pauvre cloque dressée sur la peau d'un coin de rue incolore.

Cowboy


C'était un cowboy avec des plumes sur la tête, une hache dans la main, des ronds de fumée dans les idées.

Vers


Des trop grosses morts pour de si petits vers.

Bave


Tous les jours je vois ce chien sur le balcon qui bave un peu de sa captivité sur les passants.

Dépleurer


Il faudrait pouvoir dépleurer comme on déplore.

L'or


Des éloges sur la toile qui valent de L'OR.

Anesthésie générale


Tricher un peu, avancer le calendrier de sa montre au 16 décembre 3058, inventer demain, faire briller les heures de satin, anesthésier aujourd'hui de quelques tours de cadran.

Nuits améliorées


Les matins tressaient mes muscles avec du froid, tout autour la brume faisait ressembler les arbres à des locomotives. Les matins n’étaient rien d’autre que des nuits améliorées.

(Extrait de projet en cours)

Amuse-gueule


Seul sur son bateau, perché sur la plus haute vague, un amuse-gueule sur la langue de la mer.

Fleuve tourmenté


Elle vit près d'un long fleuve tourmenté, elle dort comme un enfant sous cocaïne, elle court après la mort sans succès.

Poids du temps


La longue traversée des jours un brin d'herbe dans la bouche, les mains dans les poches détrousseuses de chaleur, la poussière encore bien dense de nos corps qu'on enverra bientôt se briser sous le poids du temps.

Anatomie d'une maison


Quand j'ai frappé a sa porte, ça a fait le bruit du dernier marron qui s'écrase sur une terrasse en hiver. J'ai insisté mais il n'a pas répondu. J'ai ouvert la porte. Sa maison sentait la vieille paille qui gonfle les animaux naturalisés. C'était tout noir, avec un peu de gris autour des volets clos. J'ai marché lentement, en étudiant chaque lézarde sur les murs tachés. Des craquelures dans la peau du temps. Quand je m'arrêtais j'entendais presque la respiration du vent. Juste de quoi être sûr que dehors était encore vivant. Il y avait un silence de chambre funéraire.
Je suis passé à côté de la cuisine. un rai de lumière copulait avec des miettes de pain sur la table, des poussières s'acharnaient sur un vieux meuble sénile. Je n'ai rien noté de plus. C'était déjà beaucoup pour une cuisine. Au fond du couloir, j'ai été aspiré par une porte entrouverte. Il faisait encore plus noir dans cette pièce, ça manquait de gris. J'ai ouvert la porte en grand et je l'ai découvert là, assis sur une vieille chaise déguisé en squelette. Il devait être mort depuis plusieurs années. Il faut longtemps pour se transformer en squelette au chaud dans une maison. Sur son bureau il y avait un gros coquillage, et juste à côté une petite feuille de papier griffonnée. C'était écrit "Pour entendre mon testament, posez le coquillage sur votre oreille". C'est ce que j'ai fait. Je l'ai approché doucement, puis l'ai plaqué avec force pour qu'il réveille mon tympan. Ce jour là j'ai entendu la mer grignoter un squelette avant de s'écouler dans le siphon d'un évier.

Endroit hanté


La roulette turbine et ma bouche s'écarquille comme des yeux. La neige qui bave sur les vitres est tout ce qu'il reste de poésie à cet endroit hanté par les crachats sanglants.

Sirène


Les allures d'un paradis en prison, la grâce d'une sirène dans un glaçon.

Monde à l'envers


Profiter de l'envers du monde, enfin pouvoir baisser les bras très haut dans le ciel.

Trop tard


De celles qui pensent que la mort ne vient jamais trop tard.

Raclure


Un résidus de cow-boy, une minuscule raclure, l'ombre d'un charisme, une pelure d'orange endormie sur le bord d'un cendrier.

Picorage

© image : Leopold Rabus

Le ciel prend sa revanche dans le picorage d'une carcasse de corbeau, fait offrande de quelques miettes à la nuit, attend demain pour engloutir les restes de l'oiseau noir et rouge.

Louche


Cimetière de bouteilles, flaques de whisky, spectres alcooliques, combats de verre pilé, rots de tonnerre les soirs où l'on pèse les maigres espoirs à la louche.

Liste de courses


- PQ
- Cotons-tiges
- Haricots-verts
- Crème pour les mains
- Rôti de boeuf
- Courgettes
- La caisse

Démontée


Tous les jours il jette un œil à la mer en se demandant si une fois démontée elle tiendra dans son camion.

Gueule béante


On arrive comme on repart, avec la même surprise, faible, frêle, et la gueule béante.

Ulysse


Pas de déjeuner, pas de toilette, les yeux dans le flou du trop loin, je suis Ulysse, cette matinée une odyssée.

Alchimiste


Les étoiles dégoulinent sur les plaines d'argent, les nuages ivoirins fondent sur les arbres, le ciel est un alchimiste et la terre un énorme chaudron.

Morve / Mouchoir


Nous courons sous les larmes du ciel, la route est un mouchoir, les arbres des doigts crochus. Nous pataugeons dans la morve du sol, comme des crottes de nez pleines de mélancolie.

Ronde


Deux yeux planqués derrière les barreaux de ses cils et moi qui fait la ronde, inspectant chaque recoin des cellules oculaires.

Flèche


Il ne fait rien des reliefs. Il mange, il dort, il boit. Il reste planté là, tel une flèche empoisonnée sur le flanc lisse de la montagne.

Cygne


Nos vies se résument à l'envol d'un cygne vers des fils électriques.

Nimbe


Quand sera venu le temps de fermer les volets et d'aérer la pièce buccale, quand il ne nous restera plus qu'à passer un dernier coup de balai sur les poussières de souvenir, quand tout sera propre, silencieux. La nimbe tachée d'un effort interminable.

Hamburger


Une voiture derrière et une devant, une foutue tranche de steak dans un hamburger, et mon bras par la fenêtre comme un vers malévole dressé pour percer les yeux encore endormis.